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Tout le monde peut être une œuvre d’art
Qu'en est-il de la place de l'esthétisme dans l'art ?
Dans la société où les canons de beauté sont en perpétuelle évolution, comment s’accepter tel que l’on est, sans avoir le sentiment de se soumettre aux critères du moment ? Pour nous éclairer, rencontre avec Idan Wizen, photographe parisien, spécialiste du nu artistique, célébrant dans son travail des beautés aussi diverses qu’originales.
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Vous préférez lire que regarder une vidéo ?
Bonjour, je suis Idan Wizen, artiste photographe à Paris. Je travaille depuis plus de 10 ans aujourd’hui sur la place de l’esthétisme et principalement du corps humain dans la société et sous ses différentes formes.
Comment les canons de beauté ont-ils évolué à travers les siècles ?
Les critères de l’esthétisme et la manière dont on regarde le corps ont évolué dans le temps en même temps que l’humanité. Si on se concentre sur le corps de la femme, les premières informations qu’on a sur l’idéal de beauté préhistorique, c’est principalement une référence à la fécondité. Une poitrine extrêmement opulente, un ventre, des hanches extrêmement rondes. Ce sont tous les critères qu’on va avoir sur des statuettes et sur les traces qui nous restent.
Si je passe très rapidement sur les siècles et si j’arrive à la Renaissance florentine, on peut avoir un critère qui nous paraît aujourd’hui ridicule – les fronts devaient être extrêmement grands. Pour cela les femmes de l’époque allaient se raser et s’épiler le haut du front et le début des cheveux pour avoir une impression d’avoir un front extrêmement grand.
Quelques décennies plus tard on va retrouver Rubens et des femmes extrêmement rondes, plantureuses avec des peaux très laiteuses ce qui va principalement changer par rapport à nos critères d’aujourd’hui.
Aujourd’hui on peut voir que même en quelques décennies on a profondément évolué. Si on regarde quels étaient les canons de beauté dans les années 70, on voit que la femme était extrêmement fine, sans formes, presque “garçonne”.
Dans les 80-90 on trouve des femmes beaucoup plus plantureuses au niveau de la poitrine principalement.
Et puis jusqu’au les années 2000, où on voit tout le corps qui s’arrondit énormément à l’image de, par exemple, Kim Kardashian aujourd’hui.
Qu’en est-il des critères de beauté d’aujourd’hui ?
Dans notre société actuelle je pense qu’on a moins un seul critère comme on a pu avoir dans les décennies ou les siècles passés. On a une société qui permet plusieurs formes de critères, même s’ils sont tous assez strictes, ils sont tous dans les cadres, et on accepte plusieurs cadres dans notre société. Peut-être grâce à la multiplication des modes de communication alternatifs, qui ne sont plus uniquement des grands médias, comme la télé ou les journaux, comme on a pu avoir au XXème siècle. Ce qui est important de comprendre, c’est qu’on était dans une époque où une seule mode, qui était définie par une classe, et tout le monde suivait plus au moins, mais c’était vraiment la mode dominante, et c’est ce qui nous reste.
Aujourd’hui, dans notre société on peut voir qu’on a plusieurs modes en fonction de nos origines socio-culturelles, en fonction de notre classe sociale, et on va avoir un peu la même chose dans les critères d’esthétisme sur le beau.
Sociologiquement, pourquoi a-t-on besoin de référence ?
Je crois qu’on a besoin de référence, des critères d’esthétisme pour deux raisons : la première c’est ce qui va nous permettre d’avoir notre propre goût. C’est très difficile de savoir ce qui est beau, quand on n’a jamais vu quelque chose. Quand on a jamais vu une rose, c’est très difficile de savoir si cette fleur est belle ou pas par rapport aux autres fleurs, et même entre les différentes roses.
C’est un peu ce qui se passe avec l’œil humain, on va s’adapter et donc on va avoir les goûts des autres qui vont nous permettre de créer des références, et de pouvoir se positionner par rapport à cela. C’est le premier point.
Le deuxième point, beaucoup plus marketing, c’est qu’il est important d’avoir des références et des modèles de beauté, qui nous permettent de communiquer dessus, qui nous permettent de vendre, de montrer, de faire rêver, d’idéaliser.
C’est pour ça que même si les critères évoluent, on reste toujours avec un idéal de beauté qui perdure dans le temps.
Trouves-tu tout le monde beau ?
En tant qu’être humain, en tant que personne, non, je ne peux pas trouver tout le monde beau. En revanche, en tant qu’artiste, oui, j’aime à le croire, j’aime à croire que tout le monde peut être beau, parce qu’il a quelque chose à évoquer, à montrer, à transmettre. Et si tout le monde ne peut pas être beau aux yeux de tout le monde, je pense que tout le monde peut être beau aux yeux de quelques personnes qui vont le trouver beau.
C’est ça l’idée du projet, ce n’est pas d’aller dire que “tous les corps sont magnifiques, et j’adore toutes les photos”, mais “j’aime certaines personnes”, qui pourtant ne sont pas dans les critères, des idéaux de notre société, de notre époque, mais qui peuvent plaire autrement, différemment à quelqu’un par un sourire, par un regard, par une attitude, par une expression, par une courbe, par ses défauts, parce que les défauts font aussi partie du beau.
Est-ce que trouver un corps beau implique systématiquement une attirance sexuelle ?
Non, j’aime à croire que non et heureusement. Je pense qu’on peut trouver beau un corps pour son esthétisme, pour ses formes, sans forcément être attiré sexuellement par lui. Pour ma part, je peux m’émerveiller devant un paysage, nature, fleur, plante, un animal. Je pense qu’on peut également s’émerveiller devant un corps sans forcément avoir envie de se reproduire avec.
Tout le monde peut venir poser pour toi. Penses-tu arriver à rendre tout le monde beau ?
Oui, j’en suis persuadé, en tout cas, j’aime à le penser. Effectivement, je ne pourrais pas rendre les gens beaux sans retouches, sans artifices, et de les faire ressembler à Brad Pitt ou Angelina Jolie, si je ne fais pas de casting avant. C’est certain, mais ce n’est pas le but. L’objectif c’est qu’ils soient beaux à leur manière, autrement, avec leurs qualités, leurs défauts, leurs imperfections, leurs charmes qui leur sont propres.
Si je ne ferais pas en sorte que chacun plaise à tout le monde, je suis persuadé que chaque personne qui vient poser ici, peut plaire à quelqu’un qui va voir cette photo, qui va être sous le charme d’un regard, d’un sourire, d’une courbe, d’une forme, d’une imperfection, parce que les imperfections nous marquent et nous touchent.
Donc oui, je pense que chacun peut être beau, mais pas forcément selon les idéaux de beauté de notre société actuelle.
Et les gens qui viennent poser, se trouvent-ils beaux ?
Quand on vient faire une séance photo, on va faire 150 photos environ pour chaque personne, et on va en conserver qu’une seule. Effectivement, ils ne trouveront pas beaux sur l’ensemble de photographies, mais on va les choisir ensemble, on va éliminer, on va trier, on va choisir, et on va choisir une seule sur laquelle, en général, ils se trouvent beaux. Mais ils vont se trouver beaux pour des raisons autres, auxquelles ils auraient pu penser auparavant. Beaux par une expression, un sourire, quelque chose qu’ils vont dégager et ils vont se voir autrement que dans un miroir. Le miroir est extrêmement déformant. Et ça, ce qui me permet d’aller au-delà de la photographie.
Peut-on apprendre à se trouver beau ?
Oui, bien entendu. On peut apprendre à se trouver beau, comme on apprend à s’aimer. Notre propre regard est forcément extrêmement déformant, et bien plus critique, que ce qu’on peut avoir comme regard sur les autres. Sur soi-même on va être très acerbes, et c’est la manière avec laquelle on va apprendre à se regarder, évoluer, et à faire changer les choses.
Comme n’importe quel être on a des défauts, des qualités. La question c’est de savoir qu’est-ce qu’on vaut en premier, qu’est-ce qu’on va regarder en premier et est-ce qu’on va pouvoir passer outre ses imperfections, ses défauts.
Ça vient avec le temps, avec l’entraînement, avec un travail psychologique, mais aussi beaucoup avec la photo, qui permet d’avoir un regard un peu différent, et de se voir dans l’œil d’autrui. Pour faire un peu la philosophie de bas-étage, c’est de voir le verre à moitié plein et pas à moitié vide.