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Ce qui nous attire chez un être dont on ne sait rien

Qu'est-ce qui nous attire chez un être dont on ne connaît rien ?

Rencontre avec Idan Wizen, photographe parisien, spécialiste du nu artistique, fondateur d’un projet artistique Un Anonyme Nu Dans Le Salon, pour parler de la beauté, de l’attirance. Sa démarche sur la subjectivité de la beauté nous interroge et nous pousse à remettre en cause nos critères d’esthétisme.

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Tête à tête avec l’artiste Idan Wizen

Bonjour, je suis Idan Wizen, artiste photographe à Paris. J’ai fondé en 2009 le projet Un Anonyme Nu Dans Le Salon. Un Anonyme Nu Dans Le Salon c’est un projet d’art qui permet à tout et chacun de venir poser dans le plus simple appareil, peu importe son âge, sa corpulence, sa morphologie, ses origines. Il n’y a absolument aucun casting. De chaque individu on va conserver une seule photographie, qui a pour vocation d’être exposée en galerie, en festival, et éventuellement chez des particuliers. 

 

Quel est le questionnement sur le plan d’attirance que tu souhaites soumettre au spectateur via ton projet artistique ?

Si l’idée de prendre des gens nus était importante pour moi, ce n’est pas pour des raisons érotiques ou sexuelles. Toute l’idée du projet c’était de pouvoir sortir les individus de leur contexte socio-culturel. On n’a pas d’ailleurs d’autres informations, que ce qu’on peut voir sur la photo, ni nom, ni âge, ni profession. Les vêtements sont quelque chose qui nous positionne socialement, qu’on le veuille ou non, on choisit ses vêtements et ils vont dire des choses sur nous, sur notre statut social, en tout cas sur l’image qu’on veut faire apparaître. 

En les retirant, on laisse beaucoup plus de liberté d’interprétation au spectateur et c’est ce qui m’apportait dans le cas de ce projet-là.

 

Et les modèles, comment réagissent-ils en voyant les photos après la séance ?

En ce qui concerne les modèles, c’est toujours amusant. La plupart des gens qui viennent me voir, sont persuadés qu’ils ne vont pas s’aimer en photo. Ils en ont vaguement fait en famille, et ils ne se plaisent pas. Ils ont des complexes en général sur leur corps relativement pudique. Ils viennent souvent en pensant que ça sera le résultat qui va leur déplaire. 

Et quand on prend le temps de regarder les photographies, la plupart du temps, ils voient autre chose. Ils arrivent à ne plus s’attirer sur ces détails, sur ces défauts qui les complexent, mais ils voient un ensemble où ils vont se trouver beaux, ils vont se regarder autrement, ils vont apprendre à s’aimer. Je trouve que c’est fortement intéressant. Souvent quand on se regarde dans le miroir, il rend des choses “difformes”. On va concentrer son attention sur quelque chose qui nous déplaît. Quand on va se voir en photographie, on va prendre un recul nécessaire, celui de l’œil de photographe. 

 

Pourquoi penses-tu qu’il est important d’avoir une œuvre chez soi ? Et pourquoi un tirage d’un être nu qu’on ne connaît pas ? 

On m’a beaucoup posé la question : “Pourquoi avoir un nu en petit, grand, très grand format chez soi d’une personne qu’on n’a jamais vue ? Ce n’est pas une star, ce n’est pas le mannequin, c’est quelqu’un de tous les jours.”

Je crois qu’il y a deux choses : la première c’est de dire que la nudité dans le cadre de la photographie, elle n’est pas là pour être une excitation sexuelle, pour être érotisante. Je pense que quand on regarde mes photographies, ce n’est pas ce qu’on y voit.  Le but c’est de casser le contexte socio-culturel de la personne, et de l’imaginer dans un métier, dans la vie, une profession, une époque qu’on veut et qu’on souhaite. 

Pour moi l’idée en regardant une photographie c’est d’avoir une introduction d’un roman. La première page. Celle qui va nous donner le premier cadre. Et c’est ensuite au spectateur d’imaginer, d’inventer le reste, de se laisser aller, de rêver. Et c’est ça ce que je trouve beau dans l’art, c’est la manière avec laquelle chacun peut ressentir une œuvre différemment, l’interpréter différemment, et aller là où il a envie d’aller.

Ce que je trouve très fort, c’est qu’à chaque fois qu’on va la reregarder, on peut inventer une histoire différente, un roman différent, et se laisser balader, voyager dans son imaginaire. 

J’ai une conviction profonde qu’une œuvre on ne s’en lasse pas, on apprend à l’aimer de plus en plus avec le temps. Plus on va prendre le temps de la regarder, plus on va apprendre à l’apprécier. C’est ce que je trouve magique la dessus. 

Pour revenir à la question initiale : avoir un nu chez soi d’une personne qu’on ne connaît pas c’est de se dire que ça pourrait être une personne qu’on pourrait rencontrer, qui pourrait nous plaire, pas forcément sur le plan sexuel, mais sur un complément dans la vie dont on manque, et c’est là où tout l’imaginaire entre en jeu, et c’est ce que je trouve intéressant.